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Jeanne Monfreau

Chambre 15

Les innocents

Après les vocalises de mon premier voisin de droite, voilà que je croise dans le couloir celui de gauche à demi nu. Je sortais de ma chambre pour aller au petit déjeuner, attendue par Diane qui était sur le départ, je ferme la porte, je me retourne et, oh ! Doux Jésus ! Le voisin à demi nu qui s’apprêtait à frapper à la chambre 17. Moi qui pensait à Diane et son mari… j’ai dû avoir les yeux comme des soucoupes et je suis restée toute interdite. Tout est allé très vite, car au même instant Hugo est sortie aussi (oui, elle est partie, revenue… ça n’arrête jamais dans cette auberge), mon voisin s’est mis à raconter je ne sais quoi sur le théâtre et le cinéma, tout ça pour se faire ouvrir (enfin !) par la dame de la chambre 17 qui cachait ce qu’elle pouvait avec une chemise qui n’était forcément pas à elle… Franchement… ce n’est pourtant pas compliqué de se vêtir pour passer inaperçu lorsqu’on est volage, c’est vieux comme le monde. En descendant, je n’ai pas pu m’empêcher de signaler à madame Lalochère, qui était à la réception, que mon voisin semblait avoir un problème avec sa clé et avait dû demander de l’aide à la dame de la chambre 17. Il n’aura plus qu’à se confesser de sa luxure et moi de ma délation. Mais comme le dit monsieur le curé, faute avouée est pardonnée. Ah ça, j’en aurai des choses à lui raconter à mon retour à Monthodon !

C’est un peu ce que j’ai dit à Diane, qui repartait aujourd’hui. Dans toute l’épreuve qu’elle traverse, il lui faut rester juste envers elle-même : “pardonne nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés”, voilà ce que c’est qu’être chrétien. Et surtout, ne pas se précipiter. Elle m’a confié qu’un ami l’avait rejointe par surprise dans les environs, un ami très proche. Elle n’est pas entrée dans les détails, mais je ne suis pas sotte et naïve, j’ai vu ses yeux qui brillaient, j’ai bien compris, on ne la fait pas à la petite vieille ! Je sais ce que c’est qu’être seule dans l’adversité, que je lui ai dit, ce n’est pas facile toujours, mais c’est une dignité et c’est aussi pour les petits. Oh, tu sais mon Lucien, je pensais à toi en disant ça, mais pas seulement : Je pensais aux mauvaises actions de mon père, à cause de qui je suis devenue injustement bonne à tout faire chez ces vilains bourgeois qui, hors de la maison s’affichaient beau et généreux mais dedans, étaient ignobles avec moi alors que je n’avais pas 15 ans. Je m’étais jurée de ne jamais faire les erreurs de ma mère, je m’y suis tenue.

Je ne le lui ai pas tout dit, mais elle doit penser à elle, trouver un emploi pour assurer sa vie et celle de ses enfants, c’est son devoir, bien plus prioritaire que de se précipiter avec un autre homme qui risque de lui apporter de cruelles déconvenues. Chaque chose en son temps, voilà ce que je pense. Mais je lui fais confiance. Elle m’impressionne, cette dame, toujours aimable et disponible, je sais qu’elle fera les bon choix et “aux innocents, les mains pleines”, alors le hasard l’aidera. Je le sens. Alors je lui ai dit “ma petite chérie, je vous souhaite bien des bonnes choses, à mon âge et ma condition je ne peux pas beaucoup, mais n’oubliez pas qu’en Indre et Loire il y aura une petite vieille qui priera bien pour vous”, et j’en avais les larmes aux yeux.

Après, nous avons bavardé de tout et de rien. Je lui ai dit que venir ici était une grande aventure pour une petite vieille comme moi, pas sortie de son Indre et Loire depuis des décennies. Oh, ça, je ne regrette pas d’être venue, j’ai vu ma petite Inès adorée, j’ai rencontré ces gentilles personnes, Brigitte, Irène-Aimée, et puis Esteban et sa femme aussi avec qui nous avons dîné l’autre soir, et puis aussi Hugo, cette drôle de demoiselle. En voilà des personnalités ! Et puis j’ai fait du vélo ! On en a reparlé avec Diane, et on a ri ! A ce propos, j’ai raconté à Inès, qui tout de suite voulait que son père aille en acheter un pour moi. La gentille petite ! Mais en discutant avec Emilie, sais-tu combien coûtent ces vélos électrique ? Mille euros ! Jésus Marie Joseph, c’est plus que ma cuve de fioul, et j’ai manqué de l’abîmer avec mes folies. Madame Lalochère est bien généreuse de laisser à disposition des vacanciers ces vélos aussi coûteux, il faudra que je lui dise en partant. N’empêche que j’aimerai bien réessayer, tout de même.

Allons, je vois l’auto d’Emilie qui vient me chercher pour l’après midi et le dîner chez eux, il est temps de lâcher ce carnet.

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