Ce matin en faisant notre petite promenade au bord du lac, nous avons aperçu la jeune comédienne, June East, et son amant Éric Javot, le réalisateur qui a fait les frais de la presse à scandale il y a quelques jours (mais avec une autre femme, cette auberge perdue dans le Jura est le haut lieu d’un nombre d’intrigues amoureuses plus ou moins mondaines, c’est fou).
Le Comte, cabotin comme il l’est, n’a évidemment pas perdu cette occasion en or de leur fondre dessus pour un grand numéro.
— Grrrrand bonjourrrr à vous ! compagnons inforrrtune, moi entendrrre dire jeune demoiselle avoirrrr prrrroblème ascenseurrrrr comme mien !!! Moi prrrrrésente, Comte Vladimirrrr Nicolaïevitch Rrrrrromanov. Voici également homme de compagnie mien, Alexeï Fédorrrrovitch Dolgorrrrroukov. Moi avoirrrr rrrrreconnu célèbrrrrre Monsieur Javot et jeune compagne, pas encorrrrre plaisirrrrr avoirrrr vous vue au cinéma, mais grrrrrande forrrrtune saluer vous ce matin !
— Bonjour, répondent plus ou moins en chœur les deux tourtereaux, qui ne m’ont l’air qu’à moitié enthousiaste face à cette interruption non programmée de leurs roucoulades. Mais le naturel enjoué de Mademoiselle East reprend le dessus immédiatement.
— Vous connaissez le travail d’Éric ? C’est formidable ! Moi aussi j’aime beaucoup ses films. C’est normal que vous ne m’ayez pas encore vue au cinéma mais j’espère bien que vous vous rattraperez dès que j’aurai tourné mon premier grand film !
— Grrrrand avenirrr devant vous Mademoiselle East. Vous immense rrrressemblance avec Laurrrren Bacall quand elle jeune. Elle d’orrrrigine rrrrrussse comme moi, vous savoirrrr ?
— Merci pour le compliment, répond June en le regardant par en-dessous, fidèle à la réputation de “The Look”. Oui je savais ! Elle était à peu près de votre génération, non ?
— Jamais dirrrrre âge des dames mais elle aurrrrait pu êtrrrrre grrrrrande sœurrrrr de moi. Aimer elle beaucoup, grrrrrrande prrrrrésence.
— Qu’est-ce que ça devait être excitant le cinéma, quand vous étiez enfant. Chaplin, Capra, Renoir, Lubitsch…
— Ah oui, grrrrrande aventurrrre ! Quand moi enfant, nous gamins en exil pauvrrrrres et pas souvent pouvoirrrrr aller voirrrr films. Alorrrrrs mettrrrrre en commun pièces monnaies et envoyer un de nous voirrrrr films puis rrrraconter aux autrrrres ! Moi envie d’aller, alorrrrrs trrrrrrravailler durrrrr à imiter tous perrrrrsonnages pourrrrr rrrrrrraconter mieux qu’enfants amis pourrrrr eux choisirrrr moi !
Il se lance alors dans une imitation saisissante de Charlot avec sa démarche en canard et sa canne qui tourne (et manque au passage de m’arracher la tête avec).
— Chaplin ! Très bien !
— Moi aussi adorrrrer film plus tarrrrdif, Docteurrrrr Jivago. Vous avoirrrr vu ? Moi bouleverrrrsé parrrr Omarrr Sharrrif quand crrrroirrrre reconnaîtrrrre amourrrrr sien.
Il se met à crier “Tanya ! Tanya !” puis joue la déception et le désespoir que la silhouette aperçue au loin ne soit pas la femme qu’il aime.
— Et quand arrrrrrriver dans datcha congelée, vous rrrrappeler ?
Son geste dessine celui d’Omar Sharif sur la vitre gelée, puis une par une, il nous joue les scènes clés du film et effectivement tous les personnages surgissent sous nos yeux. Ah ça, il n’a pas fait vedette du cinéma (que je sache), mais il en a bien usé, de ses talents de tragédiens. Je comprends mieux où il a attrapé ça.
— Mais avec des gens comme vous, je vais vite me retrouver au chômage, rit Mademoiselle East.
— Pas crrrrainddddre moi, vieux cabotin en rrrrretrrrraite. Mais s’il vous plaît vous donner arrrrrt pourrrrr enfants pauvrrrrres comme moi qui rrrrracontent films à copains leurrrrs.
Pendant tout ce temps Monsieur Javot nous écoutait, un petit sourire en coin.
— Moi pas imporrrrtuner vous longtemps, vous avoirrrr besoin espace pourrrrr amourrreux. Spassibo bolchoï pourrrr moment rrrrrallumer moi flamme vieil amateurrrrrr cinéma. Et si vous cherrrrrchez figurrrrant grrrrand vieillarrrrrd penser à moi !
Il fait quelques pas et se retourne en faisant un grand clin d’œil à June :
— Mademoiselle East, vous pas avoirrrrr besoin coucher avec vieil homme pourrrrr rrrrréusssirrrrr, vous savoirrrr déjà… Mais si vous avoirrrrrr goût pourrrrr homme dans plénitude mâturrrrrité, prrrrièrrrre pas hésiter fairrrrre savoirrrrr moi !
1 Commentaire de Sacrip'Anne -
Non mais il est impossible ce Comte !
2 Commentaire de AkaïAki -
Comme j’aime ce {{Vladimirrrr Nicolaïevitch Rrrrrromanov}} ! Toujours savoureux. Et quel talent de conteur cet Alexeï !
Je ne m’en lasse pas :-)
3 Commentaire de Pep -
La sortie du Comte est magistrale. Je n’ai pas pu retenir un “Bien joué, vieux brigand !” xD
@AkaïAki > Wanda ?! C’est toi ?! <3
4 Commentaire de AkaïAki -
@Pep> J’espère que tu fais référence à la fille de Krak et non au film éponyme de 2008 ;-)
5 Commentaire de Natou auteur -
Quel vieux cabot ! Insupportable et on l’adore ! ;-)
6 Commentaire de Pep -
@AkaïAki > Plutôt à un film de 1988 avec une histoire de poisson. ;-)
7 Commentaire de Avril -
Belle et irrésistible séquence. <3
Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la scène de jeu où Léon et Mathilde s’amusent à mimer des personnages de cinéma dans le film Léon. Merci aussi pour ce souvenir involontaire de ta part, parce que “j’adore ce film”.
8 Commentaire de Ginou -
Plus on le connaît et plus on l’apprécie ce Comte !
9 Commentaire de Noé -
@Pep Ah ouii, c’est vrai que Wanda n’est pas insensible au charme de la langue russe 😂
10 Commentaire de AkaïAki -
@Pep> Je sais que j’ai fait un peu la carpe vis à vis du “homme de compagnie mien” (pas le merlan frit, hein !) mais je ne suis absolument pas une voleuse
@Noé> Il est vrai que je ne le suis pas ;-)
11 Commentaire de Kozlika -
Je parie que le Comte va bien manquer à Alexeï quand il ne sera plus là. Quel numéro !