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Gaston Gumowski

chauffeur-livreur

Allo, Chérie ? Ça va couper...

— Alors, voilà… Léo et moi envisageons de nous marier…

J’étais repassé à la ferme, après la livraison boulangerie, pour que nous puissions petit-déjeuner ensemble, tranquillement, avant qu’elles ne partent prêter main-forte à Jeanne pour les chambres. Et au petit nouveau. Vernon. Drôle de nom, ça, Vernon. Drôle de petit gars, aussi. Dans le style rétro mi-guindé, mi-comédien, presque un petit côté hipster. Il n’est pas bien haut, pas bien épais et pas bien vieux, le gamin. Mais je crois bien qu’il va faire l’affaire. Il a l’air d’assurer, je trouve. dixit Léo. Puis nous nous étions attablés devant tout le nécessaire gourmand du matin. Le temps était donc venu de parler un peu plus des choses sérieuses du moment pour les unes et l’autre. Bien entendu, je faisais exprès de suspendre le temps en tâchant de ne montrer aucune réaction à l’annonce que venait de faire Charlie. Comme elles devaient maintenant être à point, puisque ni l’une ni l’autre n’était allée plus loin, j’allais pouvoir en remettre une couche.

— Vous mariez ? Mais pour quoi faire ? Divorcer dans deux ans ? Vous y avez bien réfléchi ?
— …

À la vue de leurs mines déconfites, j’étais assez content de mon jeu : elles étaient totalement tombées dans le panneau. Je me suis levé de façon assez détachée et puis… J’ai fait le tour de la table comme un dingue pour aller les embrasser. Me prenant quelques claques au passage, évidemment. Mais c’était de bonne guerre.

— Quand ça, alors ? Quand ? Vous avez déjà fixé une date ?
— Pas encore. Pas précisément. Pas dans l’immédiat non plus, tu sais ! Plutôt au printemps prochain. On pense aussi faire ça en deux parties.
— C’est-à-dire ?
— Mariage officiel en tout petit comité, dans un premier temps. Peut-être bien à Bruxelles. Et pour la fiesta, ça va dépendre de toi…
— Comment ça ?

C’est alors Léo qui prit la relève, d’une petite voix gênée que je ne lui connaissais pas encore.

— On aimerait faire ça ici, si tu es d’accord…

J’ai éclaté de rire. Si j’étais d’accord. M’enfin ? Si j’étais d’accord. N’importe quoi ! La question ne se posait même pas. Qu’elles sont gourdes quand elles s’y mettent !

— Et, Tonton… J’aurai besoin d’un témoin, aussi…
— On devrait bien te trouver ça, ma grande, n’aies pas peur. Charlie… Pas la peine de te demander qui tu auras pour témoin, n’est-ce pas ?
— Il va tout de même falloir que je lui demande ouvertement. Parce qu’avec un simple appel du pied comme vient de te le faire Léo, je sais très bien qu’il va jouer à celui qui n’a rien capté.

Nous nous sommes donc un peu payé la tête du gars. Les absents ont toujours tort, etc. Puis Charlie s’est sentie obligée de rajouter « un point essentiel ».

— Par contre, les garçons… Je te le dis à toi maintenant, mais Henri y aura aussi droit à son tour… Le premier de vous deux qui agresse l’autre pendant la cérémonie… Je le chope par les couilles pour taper sur l’autre. Je me fais bien comprendre ?
— Message reçu. Clair et net. Je me permets simplement de noter que tu deviens grossière avec l’âge…
— Question de maturité et d’expérience : j’adapte mon message au public concerné.

Charlie, one point.


Nous avons continué à discuter. Un peu plus sérieusement, un peu plus concrètement. Elles m’ont expliqué que l’objectif de leur tournée des grands ducs et de ces quelques mois sabbatiques était d’avertir et d’inviter en face-à-face les uns et les autres, mais également de mettre au clair leurs envies et leurs projets pour la vie qu’elles souhaiteraient alors. J’en suis resté pantois et sur un petit nuage. Un peu inquiet pour elles, j’avoue mais… Tellement fier et enchanté. Il faudra que ça décante encore un peu. De part et d’autre. On n’a pas fini d’en reparler dans les prochains jours. Il ne faudra pas non plus trop traîner : il va y avoir pas mal de choses sérieuses et complexes à mettre en branle. Je reviendrai sans doute là-dessus ultérieurement.

L’heure avançait et, à ce rythme, nous allions tous nous mettre en retard si nous continuions sur cette lancée. Profitant donc d’un court silence, j’ai été le premier à me lever.

— C’est pas le tout, ça. Mais il va falloir qu’on pense à s’y remettre. Moi, en tout cas. Faudrait que je fasse un saut aux Bouchoux et que je sois revenu à l’heure du déjeuner…

C’est là, que ça s’est… compliqué.

— Dis, Gaz’ ? Tu ne m’avais pas dit, hier, que tu avais quelque chose à me demander ?

Charlie n’avait pas oublié. Tant mieux. Mais ce n’était vraiment pas le bon moment. Je savais que ça allait gâcher l’ambiance qui planait après leur belle annonce et les conversations que nous venions d’avoir. Non. Ce n’était définitivement pas le meilleur moment.

— T’inquiète, Charlie. Ça attendra un peu. Rien d’important. On parlera de ça ce soir ou demain, va.
— Gaz’…

J’étais déjà en train de récupérer ma besace et les clés du Toyota.

— Gaz’. Je t’écoute. J’attends.
— Ce soir, je t’ai dit. Ou demain.

Alors que j’allais franchir la porte, il y a eu une grosse déflagration.

— GASTON ! PUTAIN !…

Sur l’échelle Gumowski de la taille du poing fermé, la petite Charlotte a toujours été celle qui se faisait chambrer : on ne pouvait lui accorder à peine un 0,4. En faisant preuve d’une grande mansuétude. Ça ne l’avait pas empêché de faire danser les couverts et de renverser deux tasses et un verre sous la force de l’impact de ce petit truc sur la table.

Mon regard croisa d’abord celui horrifiée et suppliant de Léo, avant de se faire harponner par celui de la frangine. Son minois ne souriait plus. Visage fermé ou presque. Poker Face. Et d’une voix dans le même registre, Charlie me fit comprendre que je n’avais plus le moindre choix.

— Bon, Gaz’… Tu la craches, ta Valda ?

Charlie, two points.


— Ce n’est vraiment rien, Charlie. Juste que j’ai écrit une lettre, il y a quelque temps, et que lorsque je l’ai mise sous enveloppe, j’ai réalisé que je n’avais pas l’adresse à inscrire dessus…

Comme je m’y attendais, cela ne la surprit pas le moins du monde. Question d’habitude. Depuis quelques années, pour tout ce qui n’est pas d’ordre professionnel ou jurassien, ma sœur me sert également de répertoire à jour.

— Tu vois ? Ça va être vite réglé, non ? Tu as de quoi noter ?

Elle venait de se saisir de son mobile et de le déverrouiller pour se rendre sur la recherche « Contacts ».

— Je t’écoute, Gaz’ ? Tu cherches qui ?
— …
— Gaz’ ?

J’ai marqué encore un temps. J’ai respiré le plus profondément possible. Mais il semblait que tout l’air avait disparu. Malgré tout, c’est sorti.

— Mélanie.
— Mé…

Léo fut la première à comprendre ce qui allait se passer ensuite. Je la vis vivement se rapprocher de nous.

Et puis, comme lointain, je perçus le faible tintement métallique d’un petit objet léger qui touche le sol et rebondit.

Merde… La goupille…

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