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Vernon Tardif

gouvernante

En route pour la montagne, mon vieux Milou

Je l’adore, hein, mais il est con, quand même, ce Samir ! Je lui ai demandé vingt-cinq fois s’il était sûr de sûr de son plan, parce que Le Macareux m’avait demandé de rester jusqu’à la fin de saison. Vingt-cinq fois il m’a répété que ça rendait service à son oncle, qu’on serait à deux pas de la meilleure plage de Corse et qu’il y avait des primes qui ne se refusent pas… Et qui m’appelle deux jours avant pour me dire que l’oncle a filé la place à un cousin de sa femme ? Je hais les familles nombreuses !

Il était emmerdé, c’t’andouille. Du coup, il m’a repéré une place à l’année, à Marseille, mais en attendant ?

Tu me vois, la bouche en cœur, débarquer à Châtellerault ? « Bonjour Papa, bonjour Maman, vous allez rire, j’ai plus de boulot ! » Jamais un Tardif ne s’est retrouvé sans ressource. J’allais pas à 28 ans retourner dans le giron maternel, merde !

J’aime autant te dire que j’ai poussé un soupir de soulagement quand j’ai vu l’annonce. Auberge, Jura, dans mes cordes, dès lundi. Hop, un week-end de pause et à moi les sapins. Et puis finalement même pas le week-end. Ça démarre direct. Un entretien vidéo jeudi et… « Vous pouvez commencer demain ? » Je savais que je pouvais compter sur mon nœud pap’ pour faire bonne impression !

Un train pour Bourg-en-Bresse (hein, c’est pas le Jura ?) et c’est parti. Premier contact avec l’équipe, le dénommé Gaston (on ne lui demandera pas s’il est gaffeur. D’ailleurs, il ne porte pas d’espadrilles, et il n’a visiblement pas une sieste d’avance, mais plutôt le teint délicat de l’insomniaque chronique.) Sur le trajet il me passe, l’air de rien, à la question. Un certain art de mener une conversation d’apparence anodine, mais qui est une véritable enquête, au fond :

— Oh, vous êtes à peine tombé de l’arbre, vous, ça va rajeunir l’équipe. Vous avez déjà fait de l’hôtellerie ?… Si ça vous intéresse, Henri, le factotum, connaît les meilleurs coins à sieste des environs. Tu vas voir (on se dit « tu », hein ?), la patronne est vraiment gentille, mais faut pas la prendre pour une perdrix de l’année !

Il y a suffisamment de sous-entendus dans cette dernière phrase pour que je comprenne que, si je devais ne pas être à la hauteur, il se ferait un devoir de me mettre, en cas de nécessité, les poings sur les i. L’est râblé le gars Gaston, on va rester concentré…


Arrivée et premier contact avec la patronne, Mme Lalochère « Appelez-moi Jeanne », effectivement très chaleureuse. Et j’en ai connu des tenanciers de bouge qui te regardent comme une chiure de mouche sur la nappe du Ritz. Et, dans mon expérience, les plus hautains sont rarement les plus compétents (la tête de M. Robert du Grand Hôtel Robert quand les mecs de l’hygiène ont débarqué dans sa cuisine. Il a perdu de sa superbe et moi une place). D’ailleurs elle a un contrat. Prêt. Avant que je n’aie commencé. Je ne prétends pas avoir tout vu, mais je crois que c’est une première, et ça augure bien. Une baraque bien gérée. Sans doute mieux que chez l’oncle de Samir ! En revanche, elle a une mine de fin de saison alors qu’on est à peine au milieu. Je pense voir pourquoi je suis là.

Ensuite, je fais connaissance avec Adèle, la fille de la patronne. Excellent, ça, une enfant « dans l’équipe ». C’est toujours une mine d’information. Ils connaissent tous les recoins et attrapent tous les secrets. Et moi, j’adore les petits secrets !

Je suis trop tard pour le service du midi, mais on me présente Janette, qui vient de finir son service en cuisine. Je sens qu’on va s’entendre. J’ai donc l’après-midi pour prendre mes marques. Ce soir je ne suis pas de service, mais il y aura la sœur de Gaston (c’est le parrain local, en fait, c’est ça ?) et sa pote.


Comme le premier contact me le faisait supposer, c’est une bonne équipe. L’auberge est propre, presque trop. Comment tu veux trouver un passage secret derrière une tapisserie oubliée quand tout sent le papier-peint fraîchement posé ? J’ai fait connaissance avec Henri, dans l’après-midi. Factotum, ça lui va comme un gant. Détendu, et apparemment un peu fétichiste du gravier. Ce week-end, il y a une dame qui fait les chambres. Si j’étais un peu plus cossard, je serais content ! Je vais prendre le temps de me familiariser en douceur. Un peu de service, un peu de découverte de la clientèle. Il y en a un qui ne passe pas inaperçu, c’est le Comte Romanov. Il y a aussi une Comtesse (autrichienne) et un gars qui fait des films. J’adore ça, le cinéma, mais je retient jamais les noms, je ne sais pas si j’ai vu ce qu’il fait. Je dois reconnaître que je ne pensais que c’était si hype, le Jura !


Insomnie samedi soir. J’en profite pour faire la connaissance de Lulu, le veilleur de nuit, sans l’importuner trop longtemps. Je sens qu’il aime son calme et qu’il faut savoir l’apprivoiser. J’en profite aussi pour faire un petit mail à Samir pour me faire plaindre un peu.

« Tu verrais ça mon pote. On bosse comme des chiens, les clients font la gueule et le lac est boueux. Et je te parle pas de l’odeur. Je me sens loin de la Corse, je te le dis. »

C’est faux, bien sûr, mais il a mérité de se sentir mal, quand même. Je pense qu’il n’en a pas fini avec le récit de mon apocalyptique été. Sans blague.

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