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Ann-Kathrin von Aalders, Gräfin von Ersterbach

Chambre 1

Telle est prise qui croyait prendre - Die Überraschung

Chère Marie-Ange,

Vous êtes peut-être (sûrement) au courant des derniers potins de la presse mondaine. Il semblerait que je sois en train de filer le parfait amour avec Éric Javot, le réalisateur, au fin fond du Jura, puisqu’on m’a surprise sur sa moto et en sa compagnie à plusieurs reprises. Le magazine People Stars a titré sur cette soit-disant idylle en France où j’aurais pu passer inaperçue mais malheureusement aussi en Autriche. Vous savez les ravages que la presse a occasionné dans ma vie par le passé avec leur incessante obsession pour les frasques d’Armin. Ils n’ont jamais eu l’occasion de vraiment dire grand chose sur moi puisque bien sûr il n’y avait rien à dire, sauf peut-être me plaindre en filigrane, ou se gausser de mon pauvre état de femme trompée. Du coup pour eux quelle aubaine ! Deux en un. La comtesse et le metteur en scène, on se croirait dans un film de Mankiewicz.

J’ai appris la nouvelle d’Éric Javot lui-même qui m’a abordée hier matin alors que je buvais mon café. Il a posé le magazine sur ma table en s’excusant à profusion de m’avoir “mise dans ce pétrin”. J’ai bien sûr dû lui avouer que j’étais coutumière du fait et l’ai rassuré, ces histoires ne m’atteignent pas vraiment, et celle-ci par son changement de protagoniste (moi plutôt qu’Armin !) est plutôt cocasse. Passé le premier étonnement du calme avec lequel j’ai pris la nouvelle, Éric Javot s’est joint à mon hilarité. Il m’a fait mourir de rire en mimant de façon quelque peu grandiloquente la scène où il imaginait comment Armin avait appris la nouvelle. J’aurais voulu que vous soyez là, j’en ris encore rien que d’y penser.

Il s’est levé et a commencé à déclamer la scène, avec quelques apartés pour donner les indications scéniques.

Ça commençait par :

Intérieur chambre, le comte est au lit avec sa maîtresse, qui ressemble à toutes les maîtresses de tous les comtes depuis des siècles, beaucoup plus jeune que lui. On frappe a la porte et le valet entre :

Le valet

— Monsieur le comte, voici la presse pipole du matin. On y parle de Madame la Comtesse votre ex-femme.

Le comte sort de sa brume matinale, attrape le magazine et le feuillette.

Le comte

— Oh mon Dieu quelle disgrâce, Ann-Kathrin m’a volé la vedette ! Moi qui n’ai eu que des starlettes, elle joue avec ce réalisateur un coup de maître !

Marie-Ange, je ne sais rejouer la scène complète mais nous n’avons pas arrêté de rire tout du long. Il est décidément vraiment très sympathique et je n’aurais pas pu rêver meilleur amant pour le public.

La journée qui a suivi a été riche en messages de tout genre. Je vois que la presse à scandale reste la pitance de base de mes “amies” viennoises. Bien sûr des messages assassins de la part d’Armin junior et Anton qui ne peuvent croire que je sois dévoyée a ce point. Je suis triste de voir que mes fils aînés ne sont toujours pas remis du divorce. Alrich, à son habitude, désinvolte, m’a demandé si je comptais faire de la moto une habitude parce que si c’était le cas il aurait quelques conseils à me donner. La Harley-Davidson, dit-il, c’est has-been. Il s’est empressé de m’expliquer pourquoi en long, en large et en travers. Son message m’a franchement fait rire au milieu d’autres plus alarmistes et plus hypocrites. Anneliese s’est bien sûr tout de suite demandé comment j’allais et une fois rassurée sur mon état a paru déçue quand je lui ai dit qu’il n’y avait rien entre Éric Javot et moi. Elle adore le travail de Javot et ne tarit pas d’éloges sur son dernier film. Je la soupçonne de vouloir que je rende la monnaie de sa pièce à son père et de penser qu’Éric Javot serait un parfait candidat.


Hier soir quand nous nous sommes retrouvés dans ma chambre, j’ai raconté l’histoire à Akikazi qui s’est un peu inquiété que je sois ainsi la cible de cette presse sans scrupule. Je lui ai raconté les fois d’avant, celles où la vie intime d’Armin s’étalait dans les journaux. Je me rends compte à quel point j’ai changé en si peu de temps quand je vois comment je réagis aujourd’hui. Revisiter tous ces épisodes m’a fait du bien, j’ai eu l’impression de les exorciser. Akikazi a écouté en silence. Il me semble que notre immense différence de milieu, de vie, de centres d’intérêts a éveillé en chacun de nous une curiosité saine et salutaire pour le monde de l’autre. Nous parlons et écoutons tour à tour et j’aime cet équilibre, même s’il reste improbable. Chacune de nos conversations est comme un acte de funambulisme, où l’un de nous s’aventure sur le fil la peur au ventre mais le sourire aux lèvres, car nous savons que le public (l’autre) qui nous regarde est bienveillant, heureux, étonné d’être là mais prêt à nous attraper au vol si nous venions à tomber. Cette soirée n’a pas dérogé à la règle et je me suis endormie dans ses bras, un peu les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres.


J’ai été réveillée vers 8h00 ce matin par un coup urgent et insistant sur ma porte de chambre. Je me suis levée pour enjoindre au visiteur matinal de revenir plus tard. J’ouvris juste un peu la porte et par l’entrebâillement je vis Anneliese, qui me sourit et força la porte pour entrer. Elle me sauta au cou avant de s’avancer plus avant dans la chambre, sans que je puisse l’en empêcher. Elle s’adressa à moi en allemand :

— Maman ! Je suis venue vous retrouver parce qu’après cet épisode dans People Stars magazine je me suis dit que vous auriez besoin de soutien moral.

Elle me dévisagea et avisant la chemise de nuit que j’avais enfilée avant de répondre à la porte, poursuivit :

— Je vous ai connue plus matinale, que vous arrive-t-il ?

Elle tournait le dos au lit en me disant cela et Akikazi qui venait de se réveiller s’était assis et avait tiré la couverture sur lui.

Anneliese se retourna pour entrer dans la chambre et continua :

— Allez allez, habillez-vous, venez donc me faire les honneurs de cette auberge que vous….

Elle s’arrêta net en apercevant Akikazi qui la regardait, souriant.

Marie-Ange, vous connaissez Anneliese et savez comme moi qu’elle parle, qu’elle parle et que rien ne l’arrête. Mais là, pour la première fois de ma vie, j’ai vu ma fille sans voix. Moment précieux.

— Akikazi, je te présente Anneliese, ma fille, lui dis-je en français.

Akikazi, sans se démonter, lui fit un signe de la main et lui dit :

— Heureux de vous rencontrer Anneliese, vous excuserez le fait que je ne me lève pas pour vous serrer la main, je suis en tenue d’Adam sous ces draps.

Anneliese le regarda, me regarda, le regarda à nouveau. Je pouvais voir son cerveau réfléchir à toute allure.

— Mais, mais… balbutia-t-elle à l’attention d’Akikazi. Vous n’êtes pas pas Éric Javot ?

— Non, dit-il, toujours un sourire aux lèvres.

— Je t’ai dit qu’il n’y avait rien entre nous ! lui rétorquai-je.

— Et je vous ai crue, maman, mais… Elle ne finit pas sa phrase, encore sous le choc.

— Anneliese, je te propose maintenant de sortir de cette chambre et de m’attendre en bas. Je ne m’explique d’ailleurs pas comment tu as pu arriver jusqu’ici.

— Il n’y avait personne à la réception et vous m’aviez donné votre numéro de chambre. Je suis juste montée pensant vous faire une surprise. Et pour une surprise, alors là… Elle se tourna vers Akikazi : Je vous prie de bien vouloir m’excuser, je ne m’attendais pas…

Je la pris par le bras et la dirigeai vers la porte de la chambre. Elle me fit grimace sur grimace, toutes plus étonnées et interrogatives les unes que les autres alors que je la raccompagnai. Je restai impassible.

— Je descends d’ici trois quarts d’heure, lui dis-je en la poussant dehors. À tout à l’heure.

Je fermai la porte et respirai un grand coup.

J’ai rejoint Akikazi dans le lit. Il me prit dans ses bras et dit :

— Ta fille est magnifique.

— Oui, surtout quand elle est muette de stupeur.

Nous éclatâmes de rire.

— Nous avons trois quarts d’heure, lui dis-je en l’embrassant.

Marie-Ange, je vous raconterai les retrouvailles avec Anneliese, mais une autre fois, cette lettre est déjà bien longue.

Avec toute mon hilarité, et bien sûr mon amitié.

A-K. v. A.

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