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Antoinette Lalande

Chambre 3

Réminiscences inattendues



Ma chère Pascale,

Quelle joie de voir avec quelle promptitude tu m’as répondue ! Quelle joie également de lire avec quelle bienveillance tu m’acceptes à nouveau !

C’est vrai qu’il est difficile de croire que nous ne nous sommes pas parlé depuis un demi-siècle… Que de choses ont changées, et pourtant, j’ai l’impression en te lisant que c’était hier que nous refaisions le monde à la terrasse de notre bar du Quartier Latin, entre deux amphithéâtres.

Je suis soulagée de lire que tu m’as pardonnée, que je ne suis plus à tes yeux la traîtresse que j’étais à 25 ans.

Je suis fière de voir à quel point tu es restée fidèle à nos idées, à nos valeurs. Cela me chagrine de lire que tu puisses avoir des regrets sur la vie que tu as menée, quand de mon côté pas une journée ne s’est passée sans que je ne regrette de ne pas t’avoir suivie.

Ici, je ne tiens pas en place ; mes enfants ont essayé de me convaincre de faire de la méditation, avec une “application” pour téléphone : quelle horreur ! j’ai cru que j’allais mourir d’ennui et je me suis sentie déjà prête à entrer dans le cercueil.

J’ai vite abandonné cette idée, je n’ai pas pu m’empêcher de me promener dans l’auberge et de m’attarder à table, en espérant faire de belles rencontres. Décidément, je ne serai jamais une solitaire.

J’ai à nouveau croisé ma jeune voisine, hier. Elle avait les yeux rougis par les larmes, mais était pressée d’aller poster deux enveloppes. Je lui ai tenue la jambe cinq minutes, juste assez pour lui proposer de me retrouver au restaurant, si elle se sentait seule, pour dîner ce soir.

A ma grande surprise, elle a accepté. Nous avons passé une délicieuse soirée à table. Finalement, elle s’est confiée assez rapidement. Elle a un mari et deux filles, elles sont encore petites. Ca se voit qu’elle les aime tendrement, mais j’ai aussi cru percevoir chez Diane - c’est son prénom, je le trouve magnifique - une grande nostalgie et d’immenses regrets… Elle a l’air d’être dans une période assez décisive dans sa vie. Je n’en ai pas su beaucoup plus.

J’ai surtout essayé de me contenir, de lui offrir l’oreille attentive qu’elle cherchait sans projeter à tout prix ma vie sur la sienne. Tout en moi brûlait de lui crier “tire toi ! tire toi avant qu’il ne soit trop tard ! tu es jeune, tu es belle, sois libre, ne reste pas enfermée dans cette vie, ça se voit à mille kilomètres que cette vie t’étouffe !!” Mais ce n’était pas raisonnable. Peut-être que, pour elle, ce n’est qu’un ras-le-bol passager de sa vie de mère de famille fatiguée. Peut-être que, dans quelques jours, reposée, elle retournera près des siens et vivra heureuse pour toujours. Et dans ce cas, heureusement qu’une vieille aigrie rencontrée dans une auberge du Jura ne l’aura pas poussée à la fuite…

En tout cas, je vais rester à l’écoute de Diane. S’il s’avère qu’elle est intimement convaincue que sa vie actuelle n’est pas faite pour elle, j’aimerai pouvoir l’aider à trouver le courage de faire les bons choix.

Ce courage que je n’ai, moi, jamais eu…

Je me suis un peu emportée avec cette histoire, j’espère que tu excuseras cette longue digression. Si cela t’intéresses, je te raconterai la suite de cette affaire.

J’attends déjà avec impatience ton prochain mail. Dis m’en plus sur ton projet de lieu d’accueil, avez-vous déjà trouvé le local ? Quand penses-tu qu’il sera opérationnel ?

Je note ton invitation, qui me réchauffe le coeur. Je la laisse faire son chemin dans ma tête, et j’espère me sentir bientôt prête à te rendre visite.

Je t’embrasse,

Antoinette.

                                   ⁂⁂⁂⁂⁂



De : antoinette.lalande@gmail.com
A : nicolas.lalande@gmail.com ; justine.lalande@gmail.com
Date : 23 juil. 2020 à 23:02
Objet : Petites nouvelles du Jura

Mes chers enfants,

Je prends un petit moment pour vous donner de mes nouvelles. Déjà trois jours que je suis ici, le temps file vite dans ce petit coin de paradis. Je me repose bien, tous les matins je fais de la méditation comme vous me l’avez conseillé, cela me fait un bien fou. Je fais ensuite un petit tour du lac et profite de la nature environnante. Quel bonheur que d’entendre ces chants d’oiseaux à toute heure ! Votre père aurait certainement adoré cet endroit.

Ici, tout le monde est calme et gentil, mais je ne me mêle pas trop aux autres, je suis là avant tout pour surmonter mon chagrin et je préfère la compagnie des arbres à celles des hommes.

Merci infiniment pour ce beau séjour, Comment allez-vous ?

Je vous embrasse tous,

Antoinette

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