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June East

Chambre 17

Les signes du destin.

Le salon cosy de cette auberge a tout pour qu’une âme paisible y trouve refuge. Des fauteuils confortables aux livres de la bibliothèque, il y baigne une ambiance feutrée propice au travail, et je prends plaisir à m’y installer. La facétieuse Adèle plante parfois là ses quartiers avec le Brad Pitt de la chambre 7, après avoir longtemps guetté son arrivée dans le hall. Une complicité belle à voir. Je parie une audition pour un film d’Almodóvar qu’au moins deux ou trois femmes de l’auberge aimeraient voler à la petite l’attention du beau garçon. Je les comprends. Pourtant quelque chose me dit que leurs espoirs seraient vains, qu’il n’est pas de cette orientation. Pure spéculation, j’y mettrais pas une scène à couper. Ingurgiter mon texte seule dans le silence me terrifie. Il me faut autour des éléments perturbateurs pour m’aider à forcer ma concentration. Un plateau de tournage n’est jamais un endroit serein, il y a toujours des techniciens hors cadre pour troubler mon attention. Apprendre mon texte en recluse ne me permettrait pas de faire abstraction de l’agitation ou de dompter le trac généré par le regard d’autrui.


J’ai retourné ma chambre de fond en comble. Impossible de remettre la main sur cette précieuse biographie. Ni dans mon sac, ni sous le lit, ni ailleurs. Je me suis repassé mentalement le film de la veille. La dernière fois que je l’ai potassée, j’étais allongée dans l’herbe au bord du lac, près de la plage, juste avant le cappuccino sous la véranda. Alors sans plus attendre je filais inspecter les lieux. Hélas, aucune trace du bouquin. Était-ce un signe du destin ? Le grand univers cherchait-il à me passer le message de tourner la page ? D’oublier ce rôle ? Quand le doute s’installe, la moindre contrariété peut prendre des allures de psychodrame. Découragement.

Au loin, une silhouette traçait son chemin dans ma direction. Cette chevelure rousse, oui, il s’agissait bien de la frêle Sara Giraudeau croisée quelques jours plus tôt. La belle à l’Heure Bleue restait plantée là devant moi, ma Bible retrouvée dépassant de la poche. La candeur qu’on lui devine contrastait tellement avec la paralysie dont elle semblait frappée à cet instant que je n’ai pu réfréner un éclat de rire qui brisa la glace. Anna, puisqu’elle se prénomme ainsi, a tout de la nymphette androgyne, avec une telle inconscience de son pouvoir de séduction qu’elle en devient magnétique. Comme de Mae West il s’agissait, nous avons longuement échangé sur les actrices et leur fragilité. Dans ses propos, je soupçonnais ses propres questionnements sur sa féminité. Ce petit renardeau au museau mutin aurait-il des affinités incertaines ? Voilà qui n’a fait qu’attiser ma curiosité. Cependant, je ne me voyais pas lui rejouer la grande scène de Jeanne Moreau face à Anne Parillaud dans Nikita.

Laisse-toi guider par le plaisir, ton plaisir d’être femme. Et n’oublie pas. Il y a deux choses qui sont sans limites : la féminité et les moyens d’en abuser.

Non, surtout pas. Surtout ne pas lui apprendre les ruses et les artifices. Quand on tombe sur un joyau pareil, il faut surtout lui préserver son éclat naturel, sa singularité, sans tenter d’altérer quoi que ce soit. Il valait mieux s’enfuir. Partir avant de succomber à son attraction et de ternir la beauté de son innocence. Ne pas la gâcher.

Que Miss West me pardonne cette infidélité, mais j’ai préféré invoquer le charme sulfureux de Lauren Bacall pour m’éclipser. Après avoir tassé une cigarette sur mon poignet et usé de mon Zippo, j’ai plongé mon regard au plus profond du sien. Une fois la certitude de son attention acquise, j’ai ronronné la voluptueuse réplique de ma voix la plus rocailleuse (en croisant les doigts pour qu’elle comprenne l’anglais). Alors, inutile de jouer un rôle avec moi, Anna. Si tu as besoin, tu n’auras qu’à me siffler. Tu sais siffler ? Tu n’as qu’à pincer tes lèvres ensemble et tu souffles. De cette scène, il n’aura manqué que le préambule du baiser. En m’éloignant, j’aurais aimé l’entendre siffler. Hélas, je crois qu’elle était bien trop estomaquée. C’est plus fort que moi, il faut toujours que j’en fasse des caisses.

Ne jamais écouter les sombres signes du destin. Il y a toujours une petite espiègle pour contrecarrer les mauvais augures.

“You only live once, but if you do it right, once is enough”. Mae.

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