Cinq heures du matin.
En peu de temps, le paysage a changé.
La nuit recule et laisse aux frondaisons l’apparence des plus antiques dentelles.
Le ciel transparent est parcouru de flèches : les martinets. Quelques becs claquent dans les aulnes. Froissements de plumes. Bruissements dans les joncs.
Sur le dos, comme inerte, je glisse lentement sur l’eau du lac.
Sensible à ses courants.
Jouant l’indifférence.
Fraîcheur aurorale.
En partance pour les roseaux.
Dérive possible vers les trois barques et le ponton.
A cet instant, feuille de nénuphar détachée de sa tige, élément du lac, sans grande importance.
Le poids de ma vie, pas plus lourd que celui de la bécasse qui niche au creux du talus.
N’excédant pas celui de la libellule.
Aeschne des planches du dico.
Qui est Malia ?
Malia la travailleuse
Malia la solitaire
Malia apparemment sans souci.
Malia n’existe pas.
Il y a juste moi, moi… vivante dans l’onde
regagnant la rive.
Gravier foulé
Le sable
Hors de l’eau, l’air vif surprend.
Peau grainée.
Haletant.
Vite.
Besace.
Serviette.
Réchauffer les seins.
Frictionner le dos.
Dents qui claquent.
Cheveux gorgés d’eau, les essorer et les rouler en un chignon bas.
Frictionner encore.
Respirer pour décélérer.
S’appuyer contre le rocher inondé du premier soleil.
Fermer les yeux. Caresser de l’épaule sa joue.
Soupirer.
Le cœur retrouve sa rythmique anodine.
Détail
Des gendarmes, tout près, poursuivent un parcours sinueux.
Masques rouges de l’enfance.
Réchauffée, je me lève, abandonne la serviette
et enfile par le haut mon jupon. Serrer le cordon, blouse relevée entre les dents.
Se rasseoir et extraire de la pochette du sac les allumettes.
Une queue d’ail au bec.
Etincelle.
Me voilà crapotant au soleil de l’ail rose, un plaisir sans pareil.
Le potager ici offre à qui en sait la qualité de sacrés joints.
Le sentier herbu est pour moi.
Rentrons à l’auberge !
Sur la route, je grappille quelques myrtilles, chouette, ça me rappelle les bleuets au Canada, je meurs de faim. En économise une poignée.
Par jeu, ces baies-là seront pour la première personne que je croiserai !
Justement : derrière le petit portail surgit le livreur, chargé de trois cageots de melons.
Grommelle :
- Qu’elle se pousse si elle peut !
- Bonjour ! J’ai des bleuets pour vous !
Lui, comme à lui-même :
- Elle va me lâcher la grappe, c’te bonne femme ?
Puis,fort, brut de pomme :
- J’en veux pas, d’ses bleuets, elle peut se les garder !
Quel mufle !
Quelques pas sur le gravier, et me voilà sur la terrasse de l’auberge, baignée de lumière. Mme Lalochère et sa petite, qui prennent leur petit-déjeuner là me fixent bizarrement :
La gosse balance :
- C’est à cause que Gaston il t’a mal parlé que t’as fait ça ?
- J’ai fait quoi ?
- Regardez, Malia, votre jupon blanc, il est tout taché…
Dans ma main crispée coule encore le jus des myrtilles.
1 Commentaire de Gilsoub -
Ah ba oui, mais Gaston il est pas du matin !
2 Commentaire de Nuits de Chine -
Le soleil de l’ail rose. Quelle belle image (oui, je sais, il faut lire que Malia crapote de l’ail rose au soleil ; je préfère ma lecture).
Gilsoub : il faut que tu corriges les données associées à tes commentaires. Il y a un point à la fin de l’URL que tu indiques. Si quelqu’un suit l’URL, il obtiendra un beau 404.
3 Commentaire de Avril -
Il est terriblement vexant ce Gaston. On ne refuse jamais un cadeau. De quoi se crisper en effet.
4 Commentaire de Lephilo -
Petite faille temporelle, ou changement climatique, juin c’est plutôt la floraison des muriers.
Mes souvenirs de goinfreries de mures dans les bouchures se situent après mi-août.
5 Commentaire de Laurent -
“Le poids de ma vie, pas plus lourd que celui de la bécasse qui niche au creux du talus.”
Magnifique <3
6 Commentaire de Gilsoub -
@Nuit de Chine : Oups ! merci :-)
7 Commentaire de Feuilledethé -
Fraises des bois ?
“Dans ma main crispée coule encore le jus des mûres.” ces quelques mots valent plus qu’un long discours, j’adore.
8 Commentaire de Sacrip'Anne -
Y aura-t-il de la rancune dans l’air ?
9 Commentaire de AkaïAki -
Je suis ébahie de voir que certain(e)s arrivent à se baigner dans un lac de montagne en juin, par des températures de l’air aussi fraîche. Cela me renvoie à un séjour de colo, en juillet, en Auvergne, avec de l’eau à 13°… impossible d’y entrer plus que jusqu’aux chevilles.
Comment revenir sur terre après un moment aussi magique… Je suis sûre que Gaston n’a pas un mauvais fond…
10 Commentaire de Malia -
@AkaIAki et @Lephilo : en écriture, on peut tout se permettre. Non ? Et Malia est de ces gens qui se bousculent. Elle a le cuir épais. Pour les mûres, j’y ai pensé, oui, mais qu’importe…
@Sacrip’Anne : peut-être, on verra !
@feuilledethé : oui, ça aurait pu :-)
@tous : merci de vos retours plus agréables que ce misanthrope de Gaston !
11 Commentaire de Lephilo -
Oui, mais non ! c’est ce qui peut pimenter ou gâter la sauce qu’on cuisine dans le récit.
Il se mure mure que l’on attend la suite de la vie du jupon.
12 Commentaire de Lephilo -
@Malia, ( puisque vous êtes par ici, permettez- moi une question : )
l’homonymie de votre patronyme avec un célèbre commissaire suédois serait-elle une simple coïncidence ?
13 Commentaire de Kozlika -
Le commissaire Wallander a deux ailes, Malia n’en a qu’une.
14 Commentaire de Lephilo -
Ce qui bien avec l’homonymie c’est qu’elle peut voler avec une ou deux ailes.
15 Commentaire de malia -
@Lephilo
J’ai accepté le rôle proposé par Kozlika et la sonorité du prénom qui m’a été destiné m’a plu.
Je ne connais que Mats W.
16 Commentaire de Kozlika -
Je plaide coupable pour le nom et j’en aime aussi beaucoup la sonorité. Le « rôle » n’est pas celui qui t’était proposé mais c’est tout à fait dans les règles, rien n’imposant de s’y conformer ; je suis curieuse de voir où tu veux emmener Malia.
17 Commentaire de Lephilo -
@Kozlika : le plaider coupable ne sera pas retenu. Mais si Malia tombe sur un roman de Henning Mankell dans la bibliothèque de l’auberge, sa lecture est à considérer.
18 Commentaire de Malia -
@kozlika: exact.
Je vais la laisser s’incarner au fil des évènements de l’auberge, en gardant en tête son ossature première, utile pour mes travaux perso. Vraiment génial, comme atelier. Merci🌟💗
19 Commentaire de Kozlika -
Alors sinon, apparemment ça peut marcher avec des myrtilles :)
20 Commentaire de Lephilo -
Ah dommage le lien est cassé.
Sinon il y a des pistes par là : Myrtilles du Jura
21 Commentaire de Tomek -
Alors, j’allais dire aussi mon choc quant au choix des mûres : on est tout juste dans la période de floraison, loin d’en déguster…
@Kozlika : ahah, les myrtilles, en effet, ça fonctionne, tant côté altitude et type d’environnement que période, même si c’est très tôt cette année. Les fraises des bois sont encore plus évidentes en terme de période (mais tachent moins, héhé).
Superbe texte, nonobstant.
22 Commentaire de malia -
Super : des myrtilles !
Ca se ramasse au peigne dit-on (quand on fait des confitures, des tartelettes, du commerce…)
Je vais remplacer ça fissa !
Merci pour tout !