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Anna Fox

Chambre 12

Bonjour bonjour les hirondelles !

Deux jours déjà que je suis à l’Auberge. Arrivée en train. Seule et presque sans bagages. Voyager léger pour pouvoir toujours prestement m’esquiver, c’est ce que m’a appris Hoshi. L’homme aux semelles de vent qui rêvait d’ailleurs ne lui était pas indifférent. Reste fugueuse et résistante au coeur des turbulences me chuchotait Hoshi. J’aurais bien été guérillère tant il aurait aimé. Donc juste m’habiller commode pour me déplacer de manière fluide et silencieuse. Deux jeans, mes sneakers, des tee-shirts et une petite laine. Mon vieux blouson. Mon ordinateur et quelques vrais livres en papier que j’ai décidé de potasser à fond : ce n’est pas tous les jours que l’on en apprend autant sur les êtres du monde qui cohabitent avec nous ici-bas. J’ai mon collier fétiche et mon bracelet d’argent. Comme parfum, je mets Heure Bleue.

A la descente du train, j’ai fait du stop puis j’ai marché. Quand je marche c’est à grand pas de contrebandière, j’ai l’habitude, je laisse mes pensées s’envoler, sautiller d’un instant à l’autre, mon esprit vagabonde et il arrive trop souvent que j’en perde mon chemin. Hoshi était ma boussole et il n’est plus là. J’ai veillé à ne pas dériver, je suis arrivée à bon port. Mon installation a été rapide. Fenêtre ouverte sur le lac, j’étais chez moi.

Depuis mon arrivée, j’endosse le mode passe-murailles et ne croise pas grand monde, je veux dire pas grand monde d’humain, car les non humains, heureusement ils sont là, bien vivants. Peut-être pas dans l’Auberge, si pimpante et si fraichement réaménagée qu’elle ne fait probablement pas encore partie des plans de réoccupation des bestioles. J’ai ouïe-dire que la talentueuse directrice des lieux n’y serait pas franchement favorable. Comment je le sais ? Le tamtam de brousse fonctionne très bien dans les bois, voilà tout.

La première journée, je file à la ferme des Adrets. Mon intuition ne m’a pas trompée, en m’approchant le coeur battant, j’aperçois les hirondelles qui plongent, fendant l’air de leur allégresse, jetant loin leurs cris aigus de joie. Elles nichent dans la vieille étable. Jadis, nous avons passé, Hoshi et moi, de longues heures à nous réjouir silencieusement au spectacle des hirondelles. Nous montions au-dessus du village, assis sur un escarpement rocheux, nous avions la masse des champs ondoyant loin sous nos pieds, au-dessus de nos têtes le ballet tournoyant des hirondelles et parfois les oiseaux venaient nous frôler. Au bout d’un moment, notre jubilation était si intense que nous épousions leur magnifique aisance, nous mettant à nous parler, à nous parler encore et encore.

Puis je reste un jour entier au bord du Lac, tout à la pointe, à l’opposé de la petite plage. Un silence bleuté est posé sur l’eau, qui frissonne sous le souffle d’un vent léger. Un poisson argenté jaillit en gerbes d’étincelles liquides. Tapie dans un petit bosquet, à l’affût et rêvassant, c’est bien sûr au Snurk que je songe. Certains disent que, l’été, le Snurk affectionne la verdeur du Jura, mais ce n’est qu’une supposition. Je dis ‘il’ mais nul ne sait qui est précisément le Snurk. Ni féminin, ni masculin, ni animal, ni végétal, ni minéral. Autrement dit une créature indéterminée. Et nul ne peut le décrire car il n’a jamais la même forme. Il a des plumes, il a des poils, des griffes, des crocs, des lèvres de miel ou d’écaille. Ce qui est sûr : il est vif, espiègle, menteur et surtout facilement irritable. Hoshi m’avait incitée à ne pas fréquenter le Snurk, trop prompt à prendre la mouche et à virer de très mauvaise humeur. Mais après tout je vais juste l’observer en ayant l’air de ne pas le regarder, et ne rien dire - ce qui ne me sera pas très difficile. J’ai mes chances. Au bilan : pas l’ombre de l’ombre d’un Snurk. C’est trop tôt. Je trempe mes jambes nues dans l’eau froide. Mille petits poissons courent sous mes pieds.

Aujourd’hui, je trace dans le bois derrière la pointe du Lac. On dirait qu’il est épais et peu accessible aux vélos, je l’ai choisi pour ça. Ce soir, je dine au restaurant de l’Auberge. Tagliatelles aux légumes suivies de séches franc-comtoises, je me réjouis d’avance. Il est temps que je découvre les zumains qui seront présents. Mine de rien.

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