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Paul Dindon

Chambre 20

Comme un ouragan

Des fois, je me bafferais. Cinquante-cinq ans et je me comporte comme un jeune premier, un gars qui n’apprend rien de ses gadins, un né de la dernière pluie, le perdreau de l’année. Chaque fois – et c’est pas souvent – qu’un homme cultivé, drôle, la tête sur les épaules, pas envahissant, correct quoi, très très correct, se présente sur mon chemin, je me prends les pieds dans le tapis. Trois jours que je suis revenu, que je tourne en rond autour du lac, que je noircis mes carnets de son prénom, Siegfried, en polices de caractère ouvragées, de pleins et de déliés, de cœurs et de trèfles à quatre feuilles. Un adolescent transi, pétrifié, pas fichu d’appeler et encore moins d’envoyer un SMS. Oui, je me bafferais.

On s’était dit « à bientôt j’espère ». C’était pas une formule ni une promesse mais c’était sincère.

L’humeur plus légère, apaisée – provisoirement – par un flot inespéré de pensées optimistes, je me fais couler un bain et demande à mon galet connecté au wifi de me jouer ma playlist « French Pop 70/80’s » et je chante :

Houuuuuu ! Viens faire un tour sous la plui-ie (ouiiii)
Les oiseaux vont venir aussi-i (ouiiii)
On fera le tour de Pariiiiiiiiis
Sous la pluie


Une belle averse venait de lessiver les trois véhicules stationnés sur le parking de l’auberge. Le van bleu et blanc orné de grosses fleurs hippies, immatriculé dans le Jura, appartenait à Jeanne. Une Harley parisienne, ou pour être précis, banlieusarde. Et ma bavaroise née en 1985 et dont je potassais à mes heures perdues le livret d’utilisation logé dans la boîte à gants. Confortablement assis et ceinturé, je m’aperçois que j’ai oublié mon téléphone dans ma chambre. Comme ces choses-là sont utiles, je décide de retourner à l’auberge. J’ouvre la portière et me retrouve brusquement nez à nez avec un couple qui ne m’est pas inconnu. Ou plutôt si, j’ignorais que ces deux-là formaient une paire. Élisa Hell alias June East et Éric Javot alias lui-même. L’actrice et le réalisateur. Les observant distraitement pendant que la conversation déroule ses présentations et nos souvenirs communs, une intuition pour ne pas dire certitude me parcourt. Le cinéaste a trouvé sa muse et s’apprête à lui écrire de beaux rôles, tant sur le papier que dans la vraie vie. Je devine June à l’affiche du long-métrage d’une réalisatrice de premier plan. Mais je choisis de ne rien révéler des images qui me sont apparues. D’une je peux me tromper. De deux, je préfère laisser ces jeunes gens découvrir leur destinée de façon naturelle.

On se promet de dîner ensemble. Ça me ferait plaisir, vraiment.

Ma lubie pour les chansons françaises des années 80 n’a pas laissée la p’tite June-Élisa indifférente le mois dernier, je m’amuse alors à leur parler en langage codé, j’invite dans la discussion Corinne Charby et Stéphanie de Monaco. Une façon kitsch de résumer mon été 2020, comme une boule de flipper qui roule avec les oreillers du cœur en boule. Comme un ouragan, la tempête en moi, a balayé le passé.

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