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Côme de la Caterie

Chambre 9

Celui qui reste

idees_noires.jpeg, août 2020
© Franquin - Idées noires

Monsieur le Comte… Papa…
Papa… Monsieur le Comte…
Dans ma tête les deux se répondaient et s’entremêlaient…
Etait-ce Papa et Monsieur le Comte ou Alexeï et Rémi-Côme qui se bousculaient ?

Papa… Tu es parti il y a 10 ans maintenant… Les suites d’une longue maladie comme on dit. Un jour tu ne t’es pas réveillé, le crabe t’en a empêché.
Tu es parti, comme le Comte vendredi dernier, même si lui est mort paisiblement, en oubliant de se réveiller.

J’imaginais facilement Alexeï, se réveillant pour se mettre au service du Comte et se retrouvant subitement seul, les bras ballants, sans but, sans savoir comment gérer des habitudes, des rituels quotidiens qui, d’un coup, n’avaient plus de justification, plus de sens…

Maman s’était retrouvée perdue elle aussi… Elle somnolait devant la télé, allumée comme toujours, le son en sourdine… elle s’était réveillée, par habitude, pour les soins dont Papa avait besoin.
Et Papa ne respirait plus. Le regard de Papa était vide. Sa bouche était morte.
La vie de Maman s’était effondrée au moment où la vie de Papa s’était échappée…

Alexeï avait sans doute contacté Mme Lalochère, le plus discrètement possible.
Maman m’avait appelé. Incapable de dire un mot. Juste des sanglots. J’avais compris.
J’arrive Maman… Deux heures de route plus tard, Maman pleurait longuement, silencieusement, sur mon épaule.

Oui le plus malheureux
C’est celui qui reste
D’une main pensive je frôle les objets
Que tu aimais hier [1]

Quand j’ai été seul avec Papa, je me souviens avoir pensé que c’était la première fois qu’il m’avait menti… Lors de son précédent anniversaire, en juin, on avait tous chanté Bon anniversaire / Nos vœux les plus sincères / Que ces quelques fleurs / T’apportent le bonheur / Que l’année entière te soit douce et légère / Et que l’an fini nous soyons tous réunis…
Et puis voilà, l’année n’était pas finie mais il était parti…
Il n’avait pas respecté sa parole…

Je me souviendrai longtemps d’Alexei, assis sur sa valise, dans l’entrée. Seul. Perdu dans ses pensées. Il n’a sans doute pas eu le temps de pleurer. Je suppose qu’il ne s’est pas attardé ni apitoyé sur son propre sort, mais comme d’habitude, il a dû choisir de s’occuper du Comte. De son dernier voyage. Un aller simple sans retour.
Il ne le saura pas, mais je l’admire, et j’ai de la peine pour lui.

Quand Papa est parti, c’est pour Maman que j’ai pleuré… Seule avec des souvenirs muets mais qui devaient hurler dans sa tête et lacérer son cœur…
Je ne pouvais rien pour elle. Sauf être là pour qu’elle pleure dans mes bras…


J’ai passé presque toute la journée dans ma chambre. Triste. Perdu dans des pensées qui remplissaient mes yeux de larmes. Mais je n’ai pas pleuré.
Je me suis rendu compte que j’étais l’illustration parfaite de l’égoïste. Je ne pleurais pas sur le Comte. Ni même sur AlexeÏ. Ni sur Papa…
Je pleurai sur ma propre peine…
“On trouve un certain charme à répandre des pleurs : En apaisant notre âme, ils calment nos douleurs.” [2]


Dans l’après-midi, je suis descendu à la réception voir si un ordinateur était mis à la disposition des clients.
Je n’avais pas envie d’expliquer mon choix de ne pas utiliser mon smartphone. 3 semaines de silence radio. Pas de trace numérique, pas de bornage téléphonique.
Bien sûr il y a eu cette visite des gendarmes. Mais mon évaporation tient.
Évaporation ? Non… on est sur la sublimation, le passage de l’état solide à l’état gazeux…
Et puis ce mot… Sublimation… La notion de sublime ça flatte mon ego…

Gentiment, Mme Lalochère m’a prêté une tablette. Oui… gentiment et avec le sourire.
Certaines personnes ont le pouvoir de me piétiner moi et mon agressivité en étant simplement aimables…
Je me souviens de Francis Blanche [3] qui disait “Je peux me défendre contre la méchanceté ; je ne peux pas me défendre contre la gentillesse.”
C’est un peu ça. Je me sens démuni quand les gens sont gentils.
Serai-je un jour capable de remiser ma gangue de piquants au rayon des accessoires ?

Je me suis installé dans le salon. Cosy ce salon, des fauteuils confortables, des murs clairs et une déco tendance “rural local” mais sans lourdeur, sans exagération… Et puis cette lumière de fin d’après-midi très douce… 
Une ambiance presqu’anglaise à condition de faire abstraction des poutres au plafond, évidemment !
Je me suis connecté à ma banque en ligne… Étonnant, le site indiquait “dernière connexion le 10 août 2020 à 14:12”
Je suis allé vérifier ma boite Gmail… Même indication sur une connexion récente… 10 août 2020 à 16:09
Qui ?
Je ne me souviens pas avoir donné mes identifiants à Marie pourtant…
Je suis donc surveillé.

Non, Marie, tu ne m’auras pas comme ça !

Notes

[1] Claude François - Celui qui reste (1972)

[2] Ovide

[3] On m’a souvent dit que je lui ressemblais. Physiquement. Seulement physiquement…

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