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Hugo Loup

Chambre 19

Un diablotin à ressorts


Je viens de passer un moment avec Adèle.
Je l’ai vu aller de-ci de-là, joyeuse, comme une abeille qui butine. J’ai attrapé des bribes de conversation de loin en loin. Elle parle comme elle est, curieuse, inventive. J’aime cette fraîcheur, cette naïveté de l’enfance qui rend curieux mais de la bonne curiosité. De celle qui a fait avancer le monde. Elle me touche Adèle. Elle me renvoie à mes nombreux neveux et nièces, qui chaque semaine, envahissent la maison familiale de leurs cris, de leurs rires, de leurs jeux. Je ne suis pas souvent, ni longtemps, chez mes parents, aussi je profite pleinement de ces petits garnements quand j’y suis. Les adultes (c’est à dire les autres adultes) s’en déchargent volontiers sur moi. Pour mon plus grand plaisir.

Quand j’ai su, je ne sais plus comment, qu’elle allait avoir 10 ans tout juste avant le 15 aout, j’ai allongé ma liste envoyée à Hortense. J’avais prévu de laisser son paquet à la réception, de préférence à Vernon, la gouvernante. Mme Lalochère, mère de la fillette, ne l’aurait sans doute jamais accepté.
Le hasard, la chance, la vie était avec moi mardi quand je l’ai vu débouler une fois que Gaston eut bien installé mon daiku dans son Toyota. Nous avons fait la route tous les trois. Adèle, bien que prévenue par notre chauffeur qu’il me fallait du silence pour me concentrer, n’a pu s’empêcher de papoter. Elle a des yeux partout (à croire qu’elle en a plus de deux), et une excellente analyse de ce qu’elle voit. Sans doute trop pour nous. J’en reparlerai.

C’est pourquoi quand je l’ai croisée ce matin, jour même de son anniversaire, je lui ai proposé de venir discuter un peu dans ma chambre.

— Il y a ton tambour ? demande-t-elle la mine gourmande, l’œil vif.
— Oui. Je le garde toujours près de moi. Tu ne pourras malheureusement pas en jouer, du moins pas dans ma chambre.

C’est toute sautillante qu’elle est entrée, se précipitant en parlant de tout et de rien, sautant du coq à l’âne en voyant mes affaires. Je crois que tout y est passé, de ma pile de livres menaçant de s’écrouler à mon kimono posé sur le lit, de mon arc, qu’elle a effleuré du doigt, à mon tambour.

— Wahou ! Ça c’est une vraie robe de dame ! Je peux ? demande-t-elle prête à toucher le tissu.
— C’est doux, non ? C’est de la soie, comme mon kimono.
— Tu vas aller où avec ?
— …

Embarrassée, je lui donne ses paquets. Détournement de conversation habile, non ?

— Pour moi ? Je peux regarder maintenant ? Tu préfères que je les ouvre à la fête ? C’est quoi ?

Un véritable moulin à questions Adèle ! Qui s’est arrêté sitôt ouvert le premier paquet. Elle a ouvert grand les yeux, déplié le vêtement, avant de l’enfiler.

— Un gilet d’aventurière ! Tu as vu toutes ses poches ? Oh ! Il y a quelque chose dedans !!! Une boussole ! J’en rêvais ! Merci merci merci !
— Tu sais, les deux ont servis à une autre petite fille avant toi.

Devant son air genre “je sais de qui tu parles”, j’acquiesce avant de lui expliquer. J’étais un peu plus grande qu’elle quand je les ai reçus en cadeau. Papichou avait été lui-même choisir la boussole, tandis que Mamichou me cousait “la veste aux milles poches”. J’ai couru bois et champs de mon enfance… Gardées précieusement, il était temps qu’elles accompagnent une nouvelle fillette dans ses aventures.

Puis c’est autour du deuxième paquet. En l’ouvrant, ses yeux s’illuminent, son sourire s’étire. Je crois que ça lui plait.

— Cela aussi m’appartenait. Je l’ai reçu au Noël de mes 10 ans. De quoi te donner quelques idées d’aventures, lui dis-je. Les alentours devraient pas trop mal s’y prêter.
— Merci, dit-elle un peu émue. J’ai une copine, sa grande sœur elle l’a lu. Le sien était un poche.
— C’est l’intégrale. C’est pour ça que c’est si gros. Tu ne pourras malheureusement pas l’emmener trop loin avec toi. Mais sache qu’il m’a quand même accompagnée quelques fois. J’espère que tu aimeras Ewilan[1] autant que moi. J’en ai vécu des aventures grâce à elle et à son univers. Profites en bien !

Elle part bras chargés, sautillant comme un diablotin sur ressorts, non sans me faire une bise sonore.
Pourquoi tous ces présents à une petite fille que je ne connais même pas ? Parce que !
Cela me fait plaisir de lui faire plaisir. Ses yeux brillants, son sourire banane ont réussi à consoler la petite fille de 10 ans qui n’a jamais pu fêter le sien, il y a longtemps, trop longtemps.

Émue, la chambre semblant vide depuis le départ d’Adèle, je décide de sortir marcher vers la ferme. C’est là que je croise un nouveau résident. On ne peut pas oublier son arrivée au volant d’un énorme bus qui a fait du jardin minéral d’Henri un champ de ruines.

Les bras chargés d’un lourd velours prune, il se dirige vers son bus. Je le salue d’un bonjour simple (certes, mais toujours efficace), avant d’engager la conversation, enhardie par ce qu’il dégage, un mélange d’excentricité et de vivacité. Je lui demande ce qu’il transporte ainsi.

— Des rideaux pour mon bus, que j’ai cousus moi-même.
— Wahou ![2] Je suis toujours admirative envers ceux qui savent coudre. Moi à part boutons et ourlets… Dites, par hasard, vous n’auriez pas un fer à repasser à me prêter ? J’ai un crêpe de soie à rendre présentable.

Il accepte et m’explique comment faire avec le tissu fragile. Le secret étant dans l’utilisation d’une pattemouille. Heureusement ça me parle, je revois la femme de ménage (que mon père avait concédée à ma mère) en utiliser une pour les pantalons de flanelle de mon père (entre autres, c’est la seule image que j’en ai gardé). Il continue en expliquant la manière de procéder, avant de conclure

— Ça donne un aspect légèrement brillant, plus naturel. Et ça aère le tissu… Toussa toussa quoi !

Nous convenons d’un moment pour le prêt et je le laisse à la porte de son bus, le remerciant avant de partir.

Je ne sais pas pourquoi, je me sens enjouée, guillerette même, ou pas loin. La joie communicative d’Adèle et du couturier, ajoutée au souvenir de la belle matinée de mardi, sans doute.
Je décide d’aller jusqu’à Pollox acheter papier et enveloppes.

Il est temps que j’écrive.

Notes

[1] La Quête d’Ewilan de Pierre Boterro l’intégrale

[2] Emprunt de l’interjection à la très démonstrative A. sans les sauts d’excitation toutefois. On a sa dignité

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